S’appuyer sur les universités européennes pour tester de nouveaux processus de recrutements conjoints entre institutions européennes: voilà l’idée défendue par le Portugal qui occupe la présidence tournante de l’Union européenne en ce premier semestre 2021. Comme le détaille le ministre portugais de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement supérieur Manuel Heitor dans une interview à AEF info, le renforcement des carrières de chercheurs en Europe compte parmi ses trois priorités pour les discussions européennes sur l’enseignement supérieur et de recherche et sera à l’ordre du jour de la réunion informelle des ministres de la Recherche le 3 février prochain. Pendant sa présidence, le Portugal veut aussi avancer sur le dossier de la science ouverte et renforcer la place de la recherche dans le plan de relance européen pour garantir à l’Europe “une résilience durable”.
AEF info : Le Portugal occupe la présidence de l’UE au 1er semestre 2021. Quels seront les temps forts pour la recherche et l’enseignement supérieur dans les semaines et les mois à venir?
Manuel Heitor : Nous allons mettre l’accent sur trois priorités liées à l’époque que nous traversons, tout en gardant en tête la nécessité d’accroître les synergies entre Horizon Europe et les autres programmes – en particulier le plan de relance européen Next generation Europe et les plans de relance nationaux. Nous aurons ainsi à cœur de :
- Appuyer la forte relation qui existe entre la recherche et les emplois, un élément critique dans le cadre des plans de relance, ce qui rend d’autant plus nécessaires les synergies entre les programmes : l’Europe doit investir plus en recherche pour créer de l’emploi ;
- Soutenir la recherche collaborative et ouverte pour repousser les frontières de la connaissance, ce qui est d’autant plus important dans la période que nous traversons ;
- Renforcer les carrières en Europe. L’Europe a besoin de plus de chercheurs, et ils doivent pour cela avoir la garantie que les carrières de recherche seront améliorées et renforcées. Le débat n’est pas nouveau, il y a eu des progrès au cours des vingt dernières années, mais il nous faut faire beaucoup plus. Cela sera le point central de la réunion informelle des ministres de la recherche dans trois semaines. Nous voulons mettre l’accent sur le recrutement des jeunes chercheurs, avec notamment une charte du bon recrutement.
AEF info : Sur quels leviers comptez-vous pour améliorer les carrières des chercheurs?
Manuel Heitor : Il y a un nouveau point sur ce débat que nous souhaitons mettre en avant, ce sont les universités européennes – un projet français qui a depuis obtenu un large consensus : il en existe aujourd’hui 40. Nous pensons que ces alliances doivent constituer une plateforme d’essai pour les carrières de recherche européennes. Nous avons besoin que la mobilité des chercheurs soit intensifiée et équilibrée. La Commission devrait créer des mécanismes de recrutement et de carrière conjoints entre plusieurs institutions européennes : au-delà de la mobilité, les chercheurs ont besoin de construire leur carrière. Les prochains mois seront importants à cet égard. Nous insisterons aussi sur ce point lors du conseil informel du 3 février.
AEF info : Les rémunérations sont parfois évoquées comme un frein à une mobilité des chercheurs “équilibrée” entre les différentes régions d’Europe. Comptez-vous aborder ce sujet?
Manuel Heitor : Le renforcement des mobilités des chercheurs en Europe et de leurs carrières doivent s’inscrire dans un processus, le salaire égal ne doit pas être un préalable. L’expérience du Portugal montre qu’en Europe, il n’est pas possible d’augmenter les salaires de façon artificielle. Il faut tenir compte des structures sociales différentes de chaque pays et que les salaires les reflètent. Avec les recrutements conjoints, il s’agit de construire une carrière sur le long terme dans plusieurs pays mais les salaires dans chacun des pays n’ont pas besoin d’être identiques. Il faut procéder par étapes et c’est en ce sens que nous avons construit notre note informelle : nous construisons sur la base des étapes franchies au cours des vingt dernières années, et procédons de manière graduelle, de façon à emmener tout le monde avec nous.
AEF info : Les mobilités étudiantes ont été mises à mal avec la situation pandémique en Europe. Quelles leçons en tirer pour le programme Erasmus +?
Manuel Heitor : Le programme Erasmus est associé à la construction de l’identité européenne., c’est un moyen important pour créer une culture européenne. Une fois que la pandémie sera passée, il nous faudra revenir au niveau de mobilité étudiante en Europe que nous avions précédemment. Mais il nous faut en tirer des leçons du fonctionnement du programme : au cours des dernières décennies, la mobilité Erasmus a été associée à des réseaux étroits entre universités. Nous devons ouvrir ces réseaux, du Sud au Nord, d’Est en Ouest.
Il faut insister, encore et encore, sur ce point : Erasmus est un projet excellent mais nous devons encore l’améliorer pour encourager une mobilité plus équilibrée, dans différentes directions, et pas toujours la même direction. La mobilité ne doit pas être réservée aux alliances d’universités qui ne doivent pas créer des clubs fermés pour leurs étudiants. Il faut ouvrir la mobilité transfrontalière en faisant tomber tout type de barrière institutionnelle.
Manuel Heitor : Nous pouvons faire beaucoup plus ! La science est encore trop fermée. Si nous avons un vaccin, c’est grâce à la mobilité des talents et à l’ouverture des données. Il faut rendre la connaissance accessible à tous. Les revues scientifiques se sont ouvertes pour les articles sur le Covid, cela devrait être le cas de tous les sujets. Les éditeurs disposent de monopoles solides. Nous voulons plus de collaborations, la meilleure recherche et le système de recherche le plus adéquat. Il ne faut pas se contenter de rendre disponible la recherche la moins pertinente, c’est la meilleure recherche que nous voulons voir ouverte. C’est une problématique complexe.
Pour avancer ensemble, il y a le plan S, un processus qui rassemble de nombreux acteurs dans une démarche commune et progressive. Le Portugal l’a rejoint pour garantir l’ouverture de toujours plus d’archives en ligne, dans le domaine public.
AEF info : L’Europe a adopté un plan de relance, en même temps qu’elle a voté les budgets d’Horizon Europe. Quelle sera la place de la recherche dans la relance?
Manuel Heitor : L’Europe a besoin de plus d’emplois et de meilleurs emplois, dans un contexte où nous avons aussi besoin de préserver notre environnement. Pour y parvenir, plus de connaissances sont nécessaires. Or nous vivons encore une organisation verticale où les différents secteurs sont indépendants les uns des autres. Nous devons par exemple mieux combiner les opportunités de la digitalisation avec la transition verte.
Il n’y aura pas de relance durable sans engagement clair pour plus de recherche. Nous sommes d’accord avec la communication de la Commission du 30 septembre sur l’Espace européen de la recherche (lire sur AEF info) : il nous faut absolument atteindre la cible de 3 % du PIB consacrés à la recherche, objectif fixé en 2000 et qui n’a jamais été atteint. L’augmentation des dépenses publiques et privées pour la recherche est la seule façon de combiner digitalisation et transition verte pour permettre à l’Europe d’être résiliente. Dans l’agroalimentaire, 80 % de la matière dépend de l’Asie, ce qui crée des difficultés : nous devons évoluer et créer de nouveaux schémas d’organisation.
Et au-delà de la connaissance, il est primordial de disposer d’outils d’observation performants. Pour faire face aux défis que nous transmettons aux générations suivantes, il est nécessaire d’observer mieux et plus : qu’il s’agisse de la biodiversité, de la gestion urbaine, ou de tout un tas d’activités, nous avons besoin d’images satellites au quotidien. C’est pourquoi nous sommes engagés dans le domaine spatial, pour nous assurer que les industries européennes vont se développer et croître dans les années à venir. L’espace est crucial pour de meilleures conditions de vie en Europe.